– Oui, mais... je ne m'entends pas très bien avec cette fille... Jaba. Elle a la langue acérée... Oh, pardon ! Je vous parle comme si nous nous connaissions depuis longtemps. Je vais vous laisser, il est tard...
– Tard ? Tu ne connais donc pas les habitudes de la maison ? demanda-t-elle d'un ton amer. Le jour, on dort, et la nuit, on reste éveillés ! Tu pourrais m'aider à résoudre cette situation...
Et Chhoti Bahu se dirigea lentement vers la console, prit une pièce dans une cassette et la remit à Bhoothnath, étonné.
. A-t-il vraiment de l'effet ? Renseigne-toi discrètement, et n'en parle pas à Jaba... elle est célibataire et ne comprendrait pas. Seule une épouse malheureuse peut comprendre mon sort. Reviens demain, je t'attendrai.
En repartant vers sa chambre, Bhoothnath fut témoin d'un bien étrange spectacle dans le salon de musique.
* *
Le lendemain soir, Bhoothnath livra la boîte de sindoor à Choti Bahu qui lui confia comme l'absence de son mari lui était une malédiction.
– Bansi ! appela-t-elle, demande à Chhote Babu de venir dans ma chambre... dès qu'il se réveillera. Dis-lui que je suis malade, que je n'ai rien mangé ni bu depuis la nuit dernière.
Et se tournant vers Bhoothnath :
– J'espère que le sindoor aura de l'effet...
– Ne vous inquiétez pas, je me suis renseigné...
– Vraiment ? Je le sens aussi dans mon cœur. Je te serai reconnaissante toute ma vie, ajouta-t-elle, les yeux brillants d'espoir.
Quand Bhoothnath fut sorti, Chhoti Bahu commença à se parer en attendant l'arrivée de son époux.
Chhote Babu entra brusquement dans la chambre de sa femme.
– Pourquoi m'as-tu fait venir ? demanda-t-il en colère
– Pour que vous me regardiez au moins une fois... et n'avez-vous pas des devoirs envers moi ? murmura-t-elle.
– Un homme n'a pas de leçon à recevoir d'une femme, jeta-t-il en se dirigeant rapidement vers la porte.
*
* *
Blessé à la jambe par une balle anglaise en pleine ville, Bhoothnath se réveilla sur un lit, tandis que Jaba s'affairait autour de lui.
– Elle est belle, Chhoti Bahu ? Même inconscient, vous n'avez cessé de répéter son nom, reprocha Jaba.
– Ma Chhoti Bahu est plus belle que tout ce qu'on peut imaginer, répondit-il rêveusement.
– Arrêtez donc de parler d'elle ! Tiens, tiens, Chhote Babu sort encore ce soir, remarqua Jaba.
Bhoothnath se redressa sur son lit en pensant : " Mais alors, le sindoor... le sindoor n'a pas eu d'effet ! C'est ma faute, tout est ma faute, je vais partir..."
*
* *
Cherchant Bansi, Chhote Babu entra dans la chambre de Chhoti Bahu. Elle profita de cette occasion inespérée :
– Je vous en prie, restez avec moi ce soir, je pourrai vous servir...
Il rit méchamment :
– Je suis du clan des Chaudhury, du sang chaud coule dans mes veines. Les épouses ne peuvent pas éteindre ce feu !
– Je ne suis pas comme les autres, se défendit Chhoti Bahu. Je suis d'une famille modeste, et je ferai n'importe quoi pour faire plaisir à mon mari. N'importe quoi...
– N'importe quoi ? Tu pourrais chanter et m'ensorceler comme Chunni Desi, la courtisane... Tu pourrais boire avec moi ? demanda-t-il
– Boire ? souffla-t-elle avec une lueur d'horreur dans les yeux.
[Boire de l'alcool était considéré comme un acte extrêmement humiliant, surtout pour une femme.]
*
* *
La nuit, Bhoothnath fut demandé dans la chambre de Chhoti Bahu. Elle l'attendait dans l'obscurité.
– Je dois te demander une faveur. Je suis tombée très bas... Achète-moi une bouteille d'alcool... mais garde le secret. Il faut que je boive pour le servir comme il aime... il veut que je boive avec lui...
Bhoothnath était sur le point de refuser.
– Tu as promis de m'aider, rends-moi ce service, implora-t-elle.
Et quelques heures plus tard, Bhoothnath s'exécuta.
*
* *
Le lendemain soir, alors que Chhote Babu était dans sa chambre de son épouse, Chhoti Bahu s'apprêta à le rejoindre après une courte prière.
Il était déjà ivre et lui tendait un verre d'alcool qu'elle repoussa à plus tard.
– Tiens, bois, tu seras encore plus belle, insista-t-il. Et il l'obligea à avaler quelques gorgées qu'elle eut du mal à supporter.
*
* *
Quand Bhoothnath rentra de sa courte absence, il trouva Suvinoy Babu alité.
– Bhoothnath, je suis heureux de vous revoir. Il faut que je vous dise... j'ai dû fermer l'usine de sindoor. Pour vous dédommager, voici 500 roupies... et prenez cette lettre pour l'entrepreneur, Roopchand Babu... il vous donnera un bon travail.
– Et... encore une chose. Ma santé est fragile, et Jaba, ma fille unique, est en âge de se marier. Je voudrais que tout soit terminé le mois prochain. Occupez-vous des préparatifs, je lui ai trouvé un bon mari.
Pris de court par la nouvelle, Bhoothnath ne put qu'acquiescer, sans savoir que Jaba, qui s'était éclipsée en entendant parler de son mariage, se désolait derrière le rideau.
Chanson Meri Baat interprétée par Asha Bhosle
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* *
Les retrouvailles avec Chhoti Bahu furent terribles. Elle était ivre, les bouteilles d'alcool vides s'alignaient sur le coffre-fort où Bhoothnath venait déposer son argent. Incapable de se tenir sur ses jambes, elle laissa Bhoothnath ranger son pécule dans le coffre où pièces d'or et bijoux s'amoncelaient.
Les semonces de Bhoothnath ne firent que la mettre en furie, et il dut fuir sa colère devant son impuissance à la raisonner.
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* *
– Ton plan est excellent, tu as vite appris, dit Roopchand Babu, l'entrepreneur qui employait maintenant Bhoothnath. Je vais t'envoyer quelques mois sur un important chantier... Au fait, tu sais que Suvinoy Babu est très malade ? Tu devrais lui rendre visite dès maintenant. Va le voir.
En arrivant chez Suvinoy Babu, Bhoothnath fut accueilli par Jaba.
– Baba est mort... Juste avant, il m'a révélé que j'avais été mariée quand j'avais un an... alors, j'ai renvoyé mon fiancé.
*
* *
– Vous voulez sortir ? demanda Chhoti Bahu à son mari.
– Je suffoque dans cette chambre depuis des semaines. Il me faut du changement, répondit son époux.
– Vous n'êtes pas content de moi ? Oubliez que je suis votre femme, prenez-moi dans votre harem... donnez-moi aussi un autre nom, comme à ces femmes...
*
* *
Au bout de quelques mois, Bhoothnath rentra du chantier où Roopchand Babu l'avait envoyé comme contremaître.
Le
haveli était méconnaissable, presque en décrépitude.
– Que s'est-il passé ? demanda Bhoothnath en voyant Bansi accourir.
– Les maîtres ont fait des investissements sans vérifier. Les terres à charbon n'avaient du charbon qu'en surface ! Maintenant, plus rien n'est entretenu ; les calèches, les chevaux, tout a été vendu... je n'ai pas été payé depuis 7 mois et regardez, les créanciers sont à nos portes.
– Et Chhoti Bahu ? demanda Bhoothnath.
– Elle est avec Chhote Babu ; il est paralysé... maintenant, il est alité toute la journée. Il paraît que c'est l'alcool...
– Je vais lui rendre visite.
Bhoothnath entra silencieusement dans la chambre.
– Chhoti Bahu...
– Oh, Bhoothnath ? Tu es revenu... alors rends-moi un service dit-elle en titubant. Achète-moi de l'alcool, ça me remettra d'aplomb.
Elle ôta un de ses bracelets.
– Tiens... pour payer...
Les remarques de Bhoothnath n'eurent aucun effet sur Chhoti Bahu qui était maintenant dépendante de l'alcool.
Majhle Babu, qui avait entendu la voix de Chhotti Bahu écoutait, pensif.
– A qui parle-t-elle, demanda-t-il à un serviteur.
– C'est l'ami du précepteur, Bhoothnath.
– Hmm...
Après le départ de Bhoothnath, Chhoti Bahu rejoignit son mari alité.
– Je vais aller voir un sadhu qui est en ville. On dit qu'il fait des miracles. Je suis sûre qu'il vous guérira, j'en suis sûre. Je vais revenir très vite.
*
* *
Bhoothnath arriva dans le jardin de Suvinoy Babu où Jaba étendait le linge.
– Jaba, je viens de rentrer... J'ai bien pensé à toi, là-bas.
– Moi aussi, j'ai pensé à toi, fit-elle d'un air dégagé. Tu sais, j'ai retrouvé une vieille lettre dans les papiers de Baba. Elle donne le nom et l'adresse de celui auquel on m'a mariée quand j'avais un an. Là, regarde... Atuli Chakravarty... Tu le connais ?
– Peut-être... répondit Bhoothnath, pensif, je vais vérifier.
*
* *
Majhle Babu, qui fumait tranquillement, était assailli par ses hommes de main.
– Nous n'avons plus rien à faire depuis des jours, firent-ils en chœur.
Le maître avait son idée. Il ôta une bague qu'il leur donna d'un air entendu, pour les payer.
*
* *
Chhoti Bahu et Bhoothnath prirent place dans la calèche louée par Bansi et partirent consulter le sadhu.
En chemin, Chhoti Bahu pleura sur le sort de son époux pendant que Bhoothnath ne pouvait que l'écouter.
Soudain, elle changea de sujet :
– Bhoothnath, pourquoi ne te maries-tu pas ? Tu ferais un bon mari.
– Mais... je suis déjà marié, Chhoti Bahu.
– Toi marié ? Mais quand ?
A ce moment, la calèche s'arrêta brusquement, et des hommes en ouvrirent les portes. Ils assommèrent Bhoothnath et tirèrent vers l'extérieur Chhoti Bahu qui résistait en criant.
*
* *
A l'hôpital, Bhoothnath eut la visite de Bansi qui lui raconta qu'il avait été renvoyé le jour même, et qu'il était maintenant porteur à la gare.
Majhle Babu avait abandonné sa demeure pour celle de sa belle-famille, Chhote Babu était mort... et Chhoti Bahu avait disparu.
Fin du flash-back
– Monsieur, monsieur, nous avons trouvé une tombe dans les ruines !
L'ouvrier sortit Bhoothnath du fin fond de ses souvenirs.
– Une tombe dans cette maison ? Montre-moi...
Ces bracelets... Chhoti Bahu...
Bhoothnath se releva tristement et alla lentement rejoindre Jaba, son épouse, qui l'attendait silencieusement.